La science par intérêt
Résumé
Membres d'un groupe de doctorant.e.s qui travaillent sur les questions en lien avec les inégalités et les discriminations, nos objets de recherches percutent (et bousculent) le domaine plus idéologique de la politique. Ainsi si nous sommes amené.e.s à déconstruire les représentations sociales liées à groupe stigmatisé en raison de sa race, sa classe, son genre, son handicap, etc. pour mieux montrer les mécanismes sous-jacents d'exclusion et de précarisation, nous pouvons également estimer qu'il en va de notre posture et intégrité de chercheur.e.s de les dénoncer. Cette question est somme toute classique. Toutefois, elle nous semble relever d'un questionnement plus central sur les conditions d'exercice de la recherche sociologique et les normes, entre autres professionnelles, qui l'encadrent et la limitent. En effet, de par notre socialisation scientifique et notre travail de recherche, il nous apparaît aujourd'hui impossible de penser la pratique sociologique indépendamment des rapports de domination qui s'exercent en son sein. La norme que l'on appelle tantôt "éthique" et d'autre fois "scientifique" joue alors un rôle de limitation du champ du pensable et même d'encadrement et de jugement normatif des objets dignes d’intérêt académique.
Dès lors que l'éthique est appréhendée comme étant un des enjeux de rapport de force au sein de la pratique sociologique, la question de savoir qui (ou quel groupe) possède le pouvoir d'édicter et de prescrire les normes invite à penser l'exercice de la sociologie comme étant une manière de composer avec un ensemble d'interdit et d'autorisation. Le problème peut alors être formulé en deux sens : En quoi l'éthique sociologique peut-elle être un instrument de censure intériorisé, pour interdire de penser ou contraindre les chercheur.e.s à penser leur objet d'une certaine manière ?